Monsieur
le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Je
pratique le crédit d’impôt recherche (CIR) depuis 1989 successivement en tant
qu’inspecteur des impôts (vérificateur DSF, IVS DVNI, rédacteur bureau CF2), chargé
de mission fiscale (MEDEF), chef du service fiscal et douanier du CEA, expert
fiscalité de la recherche et avocat.
Ma contribution portera essentiellement
sur la première partie des travaux de votre commission d’enquête « la
réalité du détournement du crédit d'impôt recherche de son objet » et dans
son aspect optimisation fiscale.
Il convient de rappeler que le
crédit d’impôt recherche est un mécanisme fiscal régi principalement par les
dispositions de l’article 244 quater B II du code général des impôts et les
articles 49 septies F à N de l’annexe III au dit code. L’administration
commente ces dispositions depuis septembre 2012 au BOFIP, BOI-BIC-RICI-10-10.
Faire du Crédit d’impôt recherche
c’est donc appliquer des définitions légales et réglementaires dont certaines
nécessitent l’intervention d’un scientifique.
Cette
difficulté est prégnante depuis 1983 mais les enjeux financiers ont été
pratiquement décuplés depuis la réforme du dispositif par la loi de finances
pour 2008.
Au-delà des soupçons de fraude
fiscale entourant le CIR, la question de l’optimisation fiscale qui n’est que
l’utilisation normale des dispositions fiscales pose la question de la
stabilité des textes applicables et de leur interprétation (I), des lacunes de
la procédure de contrôle du CIR (II) et des prestataires intervenants dans
l’élaboration du CIR des entreprises (III).
En préambule, je me permets d’attirer
votre attention sur la contribution de l’association « Sciences en Marche »
qui fait l’objet d’une large diffusion dans la presse mais d’aucune analyse.
Elle illustre de manière
caricaturale et alimente, par la manipulation de données, la rumeur tenace de
fraude fiscale généralisée et d’inefficacité qui entoure le CIR.
Mes observations sur ce point sont
celles d’un béotien en matière de sciences économiques et statistiques. Néanmoins
quelques évidences ou rappels budgétaires, légaux ou méthodologiques paraissent
nécessaires.
Les remarques sur les analyses de
l’association « Sciences en Marche » s’articuleront autour de deux
points principaux :
- Le CIR et l’emploi.
- Les risques de détournement.
L’affirmation de principe que les
jeunes chercheurs et techniciens de recherche doivent trouver un emploi ne peut
souffrir d’aucune contestation. C’est une nécessité sociale, économique et
politique. Par contre, conditionner l’acceptation de la stagnation des emplois
dans la recherche publique à la croissance de l’emploi dans les entreprises privées
revient à affirmer qu’il existe un mécanisme de vase communiquant entre les
aides et subventions allouées aux entreprises et la création de postes dans la
recherche publique. Or, le CIR est budgétairement une dépense fiscale. Elle n’a
pas la même nature qu’une dotation budgétaire. En tout état de cause, il s’agit d’ « un arbitrage gouvernemental dont les crédits
ne pourraient de toute façon pas être directement fléchés vers le budget de
l'enseignement supérieur » (G.FIORASO). C'est l'État tout entier qui
paie la note du CIR, pas l'Enseignement Supérieur et la Recherche.
1. Sur
le CIR et l’emploi, il convient de relever que l’association « Science en
marche »
- Met sur le même plan des données officielles et les affirmations simplistes de cabinets de conseil relatives aux effets du CIR sur l’emploi.
- Détermine un coût par emploi qui est tellement aberrant que l’on s’interroge sur la rigueur de la méthode de calcul utilisée.
- Établit des comparaisons sur le nombre d’emplois créés et le CIR en retenant le personnel de soutien alors que celui-ci est formellement exclu du dispositif.
- Fait des conclusions sans prendre en compte la situation économique nationale.
- Fait un constat d’échec du dispositif « jeune docteur » en omettant de signaler que les conditions de son octroi étaient à l’origine du dysfonctionnement et qu’elles ont été corrigées dans la Loi de finances pour 2014. En réalité, les entreprises embauchaient des jeunes chercheurs mais ne pouvaient pas bénéficier du CIR.
Or une étude publiée dans les notes
d’information ESR 14.04 du MENESR montre qu’entre 2001 et 2011 la population
des chercheurs a fortement évolué et a progressé régulièrement sur la période
de 5,3 % par an.
Il
est donc un peu rapide d’affirmer que le CIR a créé 28 000 emplois, comme
il est totalement erroné d’affirmer le contraire.
Cependant,
dans la période de crise économique que nous traversons, il est probable que le
CIR a contribué à maintenir et à soutenir la dynamique de création d’emploi par
les entreprises et à éviter leur destruction.
Par ailleurs, il est faux
d’affirmer que les emplois créés sur la période 2007 - 2012 seraient le fait à
82 % des entreprises de moins de 500 employés. Un simple tri sur les
données sources utilisées par l’association suffit à le démontrer.
De plus pour être tout à fait pertinente,
la série de référence doit porter sur 2008 à 2012 et non 2007 à 2012 car la
réforme du CIR ne concerne que les dépenses engagées à partir du 1er
janvier 2008.
Ainsi sur la période 2008 à 2012,
le nombre des emplois créés par les entreprises de moins de 500 salariés ne
représente que 57,6 % du total, dont 50,1 % pour les entreprises de moins de
250 salariés.
Les entreprises de plus de 1000
salariés représentent 33 % du total.
Période 2008 – 2012
|
Variation cumulée des emplois
|
Pourcentage
|
Entreprise
– 250 salariés
|
14
136
|
50,1
%
|
Entreprise
250 à 500 salariés
|
2
138
|
7,6
%
|
Entreprise
500 à 1000 salariés
|
2
617
|
9,3
%
|
Entreprise
+ de 1000 salariés
|
9 318
|
33
%
|
Toute
taille d’entreprise
|
28
210
|
100
%
|
Données source : https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/les-moyens-consacres-a-la-r-d-les-entreprises-par-branche-d-activite-mesr/
Cependant, en termes de volume d’emploi,
sur la période 2008-2012 les entreprises de 1000 salariés représentent entre 54
% et 50 % du volume des emplois alors que les entreprises de moins de 250
salariés sont entre 28 et 32 %.
La part respective de ces deux
catégories semble s’être stabilisée à partir 2011.
Enfin en 2008, le coût moyen d’un
emploi de chercheur est de 16 621 € hors frais généraux et de 26 395 €
y compris les frais généraux.
Pour les entreprises de moins de
250 salariés, ce montant est respectivement de 16 460 € et 26 141 €
et non de 60 000 €.
A cet égard, la démonstration de
l’aberration des chiffres avancés par l’Association devient évidente si l’on
multiplie ce montant de 60 000 € par le nombre de salariés employés en
R&D en 2012 par le nombre d’emplois des entreprises de moins de 250
salariés. Le crédit d’impôt correspondant serait de 2 979,5 M€ alors
que le crédit d’impôt total dont bénéficie ces entreprises s’élève selon les
données du MENESR à 1 675 M€.
2. Sur
les risques de détournement
Le ratio de fraude de 15 % ou la
fraude massive sur l’emploi des cadres dénoncés par l’association démontre des
approximations dans l’utilisation des données et une certaine méconnaissance tant
du dispositif du crédit impôt recherche que du contrôle fiscal.
En effet, s’agissant du ratio de 15
% il est calculé à partir d’un exemple donné par la Cour des Comptes de 22
dossiers auxquels ont été appliquées les sanctions de manquements délibérés sur
150 dossiers notifiés par la DVNI.
Il est peut-être utile de rappeler
à l’Association mais également à la Cour des Comptes qu’un redressement notifié n’est pas un redressement définitif et que
bien souvent ces sanctions sont abandonnées avant le terme de la procédure
fiscale car non justifiées.
A cet égard, sur cette période, et sur
le fonds des propositions de rectification, j’ai pu constater à plusieurs
reprises que les vérificateurs de la DVNI suivaient l’avis de certains experts
du MENESR qui refusaient l’éligibilité au CIR de 100 % des dossiers présentés
par des entreprises souvent leaders mondiaux dans leur domaine. Les rejets
étaient souvent fondés sur une « vision académique » de la recherche
ou une approche statistique des dossiers. Le manquement délibéré de l’article
1729 du code général des impôts perdait toute raison d’être sinon celle d’être
un moyen de pression sur l’entreprise lorsque l’expert finissait par admettre
que son approche était un peu brutale et infondée.
De plus, si on s’attarde sur la
typologie des propositions de rectifications habituellement mise en œuvre sur
cette période on s’apercevra qu’une grande partie a été annulée depuis par le
juge de l’impôt ou a nécessité une intervention de la loi ou est contraire à la
lettre des textes et à la jurisprudence.
- Sur les propositions de
rectification censurées par la jurisprudence et finalement par la doctrine
administrative peuvent
être citées, à titre d’exemple, celles relatives à :
- La qualification d’accessoire à la rémunération de l’intéressement et de la participation (Conseil d’Etat 12 mars 2014 n°365877).
- La prise en compte des stagiaires (Cour Administrative d’Appel de Versailles 6 novembre 2014 n°13V1842).
- La prise en compte des cotisations AGS, AGIRCC-ARCCO, aux mutuelles rendues obligatoires par les conventions collectives (BOFIP-BIC-RICI-10-10-20-20-20150401 n°15).
- Pour les propositions de
rectification qui ont nécessité l’intervention du législateur.
La loi de finances pour 2015 a
précisé la qualification de docteur au sens du CIR. Les propositions de
rectification opérées jusqu’en 1er janvier 2015 étaient contraires à la lettre
du texte de l’article 244 quater B du CGI.
- Pour les propositions de
rectification contraires à la jurisprudence et à lettre des textes.
Il convient de souligner que les
experts du MENESR continuent à écarter les personnes insuffisamment qualifiées
ou à écarter les chercheurs affectés à 100 % à la R&D (CE 25 mai 2007, n°
297280, CAA Lyon 1er juin 2006, n°02LY01282).
Enfin, pour remettre un peu les
choses en perspectives, un ratio du poids réel des propositions de
rectification peut être avancé.
En 2012, l’administration fiscale
pouvait en application de l’article L.172 G du LPF (Livre des Procédures
Fiscales) vérifier les CIR des années 2008 à 2011 soit une créance de CIR de 19 392 M€
(4 452 M€ [2008] + 4 480 M€ [2009] + 5 250 M€
[2010] + 5 210 M€ [2011]). Le montant total des rectifications
relatives au CIR en 2012 s’élève selon les données de la Cour des comptes à 162
M€. Rapportés à la créance de CIR les
montants rectifiés en 2012 ne représentent que 0,8 % de la créance vérifiable.
Sur l’emploi des cadres, l’association
« Science en marche » se fondant sur une étude de l’APEC, considère
que la hausse brutale de la proportion de cadres recrutés en R&D à partir
de 2007 est parfaitement corrélée au changement de législation sur le CIR et
que l’on peut attribuer cette hausse brutale soit à un changement de définition
du périmètre de R&D dans la loi, soit à une fraude massive.
L’analyse des données est fondée
sur une erreur grossière, l’Association part en effet du principe que « l’année 2007 correspond à la première
année concernée par la réforme de 2008 du CIR. En effet, les entreprises, en
2008, ont déclaré leurs dépenses de 2007 ».
Or
les dispositions de l’article 69 de la loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007 de
finances pour 2008, s'appliquent aux crédits d'impôt calculés au titre des
dépenses de recherche exposées à compter du 1er janvier 2008.
Pour conclure ce préambule, on ne
peut que regretter que depuis la réforme du CIR par la loi de finances pour
2008, la légitime volonté d’évaluer les effets de ce dispositif donne lieu à
une bataille de chiffres sans fin qui masque des intérêts économiques,
politiques et budgétaires qui oublient l’intérêt des entreprises et de la
France.
I.
La stabilité et l’interprétation des textes
Comme esquissé supra, on ne peut
sérieusement se prononcer sur la réalité du résultat du contrôle fiscal et de
dérives dans la mise en place d’un dispositif fiscal que lorsque tous les
recours prévus par la procédure ont été épuisés.
A cet égard, il faut se garder de
parler de fraude caractérisée lorsqu’il ne s’agit que de présomption de fraude,
les procédures de contrôles n’étant même pas achevées (Cour des comptes rapport
juillet 2013 p.132 note de bas de page).
De plus, la stabilité des textes et
de leur interprétation joue un grand rôle dans cette appréciation car elles donnent
la mesure de la sécurité juridique accordée aux entreprises pour élaborer leur CIR
et de la solidité du fondement juridique sur lequel les services de contrôle peuvent
asseoir leurs propositions de rectification.
Ces deux éléments majeurs dans la
mise en œuvre du CIR doivent être améliorés. De plus, ils se combinent avec une
cacophonie née de la multiplicité des sources d’information.
A.
Une stabilité et une interprétation des textes à améliorer
La stabilité du dispositif n’est
pas assurée. Depuis sa refonte, le dispositif est en permanence soumis à des
modifications comme le démontre le tableau succinct ci-dessous.
Modifications (liste schématique
et non exhaustive)
|
Source légale ou doctrinale
|
|
Loi
de finances pour 2008 n°2007-1822 du 24 décembre 2007
|
|
Loi
de finances pour 2009 n° 2008-1425 du 27 décembre 2008
|
|
Loi
de finances rectificative pour 2008 n°2008-1443 du 30/12/2008
|
|
RM
HOUILLON n°37202 JO AN 17/03/2009
|
|
Rescrit
2009/53
|
|
Loi
de finances rectificative pour 2009 n°2009-1674 du 30/12/2009
|
|
Loi
de finances pour 2010 n°2009-1673 du 30/12/2009
|
|
Rescrit
2010/09
|
|
RM
GERARD n°59458 JO AN 17/08/2010
|
|
Loi
de finances pour 2011 n°2010-1657 du 29/12/2010
|
|
Instruction
fiscale 4 A-3-12 du 21/02/2012
|
|
RES
2012/37
|
|
Décret
n°2013-116 du 5 février 2013
|
|
RM
FELTESSE n°12558 du JO AN 19/03/2013
|
|
Loi
de finances pour 2013 n°2012-1509 du 29/12/2012
|
|
l'instruction
13 A-2-12 du 7 septembre 2012
|
|
Loi
de finances pour 2014 n°2013-1278 du 29/12/2013
|
- La sous-traitance (généralisation de l’obligation
pour les prestataires agréés de déduire de leur CIR les sommes perçues au
titre des travaux de R&D sauf exception limitée)
- Au respect des plafonds (interdiction pour le
prestataire agréé de ne pas déduire de son CIR les sommes perçues même
lorsque le donneur d’ordre a atteint le plafond de déduction)
- A la déduction des subventions (étalement des
subventions sur la durée du projet et non plus déduction immédiate l’année de
l’encaissement)
|
BOFIP
BIC-RICI-10-10-20-30 du 4 avril 2014
|
|
Loi
de finances pour 2015 n°2014-1654 du 29/12/2014
|
|
BOFIP-BIC-RICI-10-10-20-20
du 1er avril 2015 n°15 et 20
|
Ses modifications successives sont
pour partie liées à des réactions à de
présumées fraudes (ex : plafond de trois fois les autres dépenses,
déduction de certains honoraires des prestataires, suppression des taux majorés
des premières années…) ou parfois à une
volonté d’améliorer ou compléter le dispositif (ex : notion de
doctorat, CII, élargissement des délais pour faire une demande de rescrit…).
Mais
elles constituent de nouvelles sources d’interprétation et de contentieux
d’autant que les précisions doctrinales relatives à leur application sont très
longues à intervenir.
Par exemple, les questions relatives
aux plafonds de déduction et aux droits à déduction des prestataires agréés sont
largement connues depuis 2009 mais n’ont fait l’objet de précisions qu’en avril
2014. De plus, les profondes modifications apportées aux modalités de calcul du
CIR des prestataires agréés ont déclenché un mouvement de demande de retrait
d’agrément dont les conséquences négatives pour les donneurs d’ordres ne sont
pas à ce jour maîtrisées (cf. infra § I B).
Il en est de même de la définition
de la notion de cotisations sociales qui est une question récurrente mais qui
n’a été réglée qu’en avril 2015 et dont la réponse va générer de nouveaux
contentieux que l’on peut illustrer par l’analyse figurant dans l’encadré
ci-dessous.
Dans
le BOFIP-BIC-RICI-10-10-20-20
du 1er avril 2015 l’administration fiscale a précisé la notion de
cotisations sociales obligatoires éligibles au CIR.
L’administration
reprend les critères dégagés par la jurisprudence et pose « par cotisations
sociales obligatoires, il faut entendre les cotisations patronales légales ou
conventionnelles à caractère obligatoire versées par l’entreprise, assises sur
des éléments de rémunération éligibles au CIR et ouvrant droit au profit des
personnels concernés ou leurs ayants-droit, à des prestations et avantages. »
Les
dispositions des numéros n° 15 et 20 du BOFIP-BIC-RICI-10-10-20-20-20150401
sont opposables à l’Administration à compter du 1er avril 2015 et s’appliquent
aux Entreprises pour le CIR 2014 dont le délai de dépôt n’est pas expiré.
Elles sont
potentiellement source de contentieux pour les exercices non prescrits car le
n° 20 exclut des cotisations sociales obligatoires certaines contributions dont
la qualification de cotisations sociales semblait être acquise.
Il
en est ainsi de la contribution patronale visée à l’article L. 137-13 du CSS et
le forfait social prévu à l'article L. 137-15 du CSS dont le taux s’élève à 20
%.
En
effet, le BOI 4 A-10-08 précisait expressément que la contribution patronale sur
les options de souscription (ou d’achat d’action) et les attributions gratuites
d’actions (CSS L.137-13) constituait une cotisation sociale obligatoire pour le
CIR.
Sur
une analyse a fortiori, il était considéré qu’il en était de même du forfait
social (CSS L.137-15).
B.
Une cacophonie née de la multiplicité des sources
d’information
Le MENESR publie depuis plusieurs
années un guide annuel CIR.
Celui comporte en préambule les
mentions suivantes : « Ce guide
est conçu comme une aide aux utilisateurs du crédit d’impôt recherche,
notamment pour préparer leur déclaration ou demander un agrément.
Les
précisions et explications qu’il apporte sont dépourvues de valeur
réglementaire et ce guide ne peut se substituer ni à une référence aux textes
législatifs et réglementaires ni aux instructions fiscales applicables en la
matière. »
L’utilité et la volonté pédagogique
de ce document sont incontestables.
Cependant, ce guide comporte la
doctrine du MENESR en matière de crédit impôt recherche tant sur la définition
de la R&D que sur les dépenses éligibles, les modalités de calcul et les
pièces justificatives à fournir.
Bien que son inopposabilité soit
affirmée depuis plusieurs années, il constitue le document de référence des
experts du MENESR et parfois, ce qui est beaucoup plus regrettable des services
de vérification qui motivent des propositions de rectification par référence à
ce document.
Par
ailleurs, il est également indéniable que la doctrine qu’il véhicule influence
fortement la doctrine fiscale pour ce qui a trait à la définition de la
R&D. Pour cela, il suffit de comparer le guide MESR 2011 et le projet de
BOI sur la définition de la R&D mis en consultation publique en juillet
2011 et le guide 2012 avec le BOI 4 A 3-12 sur les définitions de la R&D repris
au BOFIP BOI-BIC-RICI-10-10-10-20-2012-09-12.
Ce guide est un bon outil
d’information des entreprises mais il paraît inacceptable en terme de sécurité
juridique qu’il existe des interprétations non confirmées ou des divergences d’interprétation
entre l’information donnée par le MENESR, la doctrine fiscale et la
jurisprudence.
Plusieurs exemples peuvent être
cités :
- Le caractère éligible de l’état de l’art.
- Le brevet comme indicateur de R&D.
- La qualification requise des chercheurs et techniciens.
- L’éligibilité des dépenses de prises et maintien de brevet pour les concessionnaires de brevets.
- Les conséquences pour le donneur d’ordres du retrait d’agrément d’un prestataire agréé.
Deux exemples figurant dans
l’édition du 30 mars 2015 de ce document seront retenus pour illustrer ce
constat.
Ex. : Sur la qualification des chercheurs et
techniciens
Extraits du Guide
CIR 2015 :
« De façon à identifier précisément les
personnels retenus dans l’assiette du CIR, le MENESR se réfère à la «
nomenclature des niveaux de formation » établie par le ministère de l'Éducation
nationale dans laquelle il apparaît que les chercheurs appartiennent au niveau
1 et les techniciens aux niveaux 2 et 3.
Comme dans le cas des chercheurs, le diplôme n’est
cependant pas le seul critère pour admettre des personnels dans l’assiette du
CIR. Ainsi, pour le personnel de recherche (chercheurs et techniciens) ne
possédant pas le diplôme requis, il appartient à l'entreprise de justifier par
tous moyens en sa possession, aussi bien sur un plan professionnel (validation
des acquis d'expérience, fonction dans l'entreprise…), que sur le plan de la
gestion des ressources humaines (adhésion à une convention collective, niveau
de rémunération…) que ce personnel possède bien la qualification
requise. » (…)
« Les autres catégories de personnel (personnel
administratif, financier, commercial…) sont expressément exclues du champ
d’application du CIR. Il en est de même du personnel collaborant à un projet de
recherche, mais ne possédant pas la qualification requise de chercheur ou de
technicien de recherche (ouvrier…). Comme précisé ci-dessous, les coûts
représentés par ces personnels sont pris en charge au travers des frais de
fonctionnement fixés forfaitairement en fonction des dépenses de
personnel. »
Commentaires :
Depuis 2008, les
différentes versions du Guide du MENESR admettent que le diplôme n’est pas le
seul critère et qu’il appartient aux entreprises de justifier par tout moyen
que le personnel possède la qualification de technicien de recherche.
Néanmoins depuis
2011, les Guides se contredisent en considérant que les personnels collaborant
à un projet de R&D, mais ne possédant pas la qualification requise sont
exclus du champ d’application du CIR et constituent du personnel de soutien.
Le guide fait
référence au paragraphe 60 du BOI-BIC-RICI-10-10-10-30 pour conforter son
affirmation. Or celui-ci ne dit rien de tel. Il précise seulement que « compte tenu des termes mêmes de la
loi, le personnel de soutien est expressément exclu du champ d'application du
crédit d'impôt. Il s'agit notamment des personnels affectés au secrétariat, à
la dactylographie, au nettoiement des locaux de l'entreprise ou à l'entretien
purement matériel des équipements. Ces dépenses sont en effet couvertes par le
forfait relatif aux dépenses de fonctionnement. »
Le MENESR ajoute à
la doctrine administrative et en cherche la caution alors qu’une jurisprudence
constante écarte le diplôme pour ne retenir que le critère de la tâche exécutée.
S’agissant des techniciens de recherche, doivent être caractérisés la
collaboration étroite avec des chercheurs et le soutien indispensable aux
travaux de R&D (cf. en ce sens CE 27mai 2007, n°297280, CAA Lyon 10
novembre 2009 n°07-295, CAA Paris 22 janvier 2015 N° 13PA04184).
Ex. : Sur le retrait d’agrément
Extraits du Guide
CIR 2015
« Les entreprises peuvent demander le retrait de leur
agrément. Le MENESR y répond de manière favorable, ce retrait étant de droit
sur simple demande de l’intéressé. L’effet du retrait de l’agrément court à
compter de la date de la demande, la période passée ayant généré des droits.
L’éligibilité des projets chez le donneur d’ordre se
traite de la manière suivante. Le texte législatif parlant de « travaux confiés
à », c’est la date de contractualisation (date de signature du contrat) ou date
équivalente qui doit être prise comme fait générateur de l’éligibilité de la
facture de sous-traitance chez le donneur d’ordre. Ainsi, il suffit que le
sous-traitant soit agréé au moment où lui sont confiés les travaux pour que le
donneur d’ordre puisse intégrer dans son assiette la facture de sous-traitance,
peu importe que les travaux soient réalisés en tout ou partie et/ou que la
facture soit émise avant ou après la date de désagrément.
Cette position est d’ailleurs de portée plus générale
puisqu’elle s’applique également pour un donneur d’ordre qui a confié des travaux
de R&D à un sous-traitant qui n’aurait pas demandé le renouvellement de son
agrément. »
Commentaires :
L’administration
fiscale n’a pas commenté les conséquences du retrait d’agrément alors que le
guide qui n’est pas opposable à l’administration fiscale propose une
interprétation des textes qui peut conduire à ce que les mêmes opérations de
recherche ouvrent droit deux fois au crédit d'impôt contrairement au principe
posé dans le BOFIP (BOI-BIC-RICI-10-10-20-30-2014-04-04 n°220).
De plus, la
solution proposée risque de complexifier considérablement la tâche des services
de vérification et induire en erreur les entreprises donneuses d’ordres ou
prestataires.
Il paraît donc tout à fait
nécessaire que ce guide annuel CIR du MENESR soit en conformité avec les textes
légaux, la doctrine administrative et la jurisprudence même si ces dernières
années un effort considérable a été accompli pour tendre vers cet objectif.
A cet égard, le cas des stagiaires
est particulièrement éloquent, le MENESR ayant fait un principe, du refus de la
valorisation des stagiaires.
La comparaison des guides 2014 et
2015 est très parlante de l’évolution de sa position.
Extraits guide 2014
« Les stagiaires ne sont pas retenus dans
l’assiette du CIR, même s’ils possèdent les qualifications requises. En effet,
un stage en entreprise est une immersion dans le monde professionnel.
L’objectif est d'acquérir de nouvelles compétences permettant entre autres la
validation d’un diplôme ou la découverte des responsabilités et des obligations
professionnelles. Le passage du stagiaire en entreprise a donc un objectif
pédagogique et de formation, même s’il peut être tenu d’exécuter des tâches à
caractère professionnel ».
Extraits guide 2015 :
…« Les gratifications versées aux stagiaires, étant
inscrites en comptabilité au compte charges de personnel, ont le caractère de
dépenses de personnel déductible du résultat imposable et doivent être
regardées comme des rémunérations au sens de l’article 49 septies I de l’année
III du CGI. » (CAA Versailles du 6 novembre 2014 société Micro Electronics,
société SAS Cooper Standard Automotive). L’entreprise doit démontrer que les
stagiaires travaillent en étroite collaboration avec les chercheurs et le
descriptif de leurs activités doit être suffisamment précis pour considérer
comme établi qu’ils ont apporté un soutien technique indispensable aux travaux
de R&D. »
Cette
harmonisation de la documentation est indispensable pour la sécurité juridique
des entreprises.
De
plus, la clarté et la stabilité juridique d’un dispositif jouent un rôle majeur
dans la réduction de l’optimisation fiscale en limitant les possibilités
d’interprétation des textes.
II.
Les lacunes de la procédure de contrôle du CIR
L’élaboration d’une déclaration de
CIR conforme aux attentes de l’administration fiscale et du MENESR suppose pour
les entreprises une collaboration pluridisciplinaire.
Le contrôle du CIR est lui aussi
soumis à une dualité d’intervenants mais seule l’administration fiscale a le
pouvoir de rectifier le CIR (L 45 B du LPF).
Sa mise en œuvre met à mal quelques
principes fondamentaux et soulève des interrogations non résolues à ce jour.
A.
Le non-respect de principes fondamentaux
L’intervention des experts du MENESR
est facultative. De ce caractère, le juge de l’impôt a tiré des conséquences
particulièrement sévères pour les entreprises et accru de manière très
significative leur insécurité juridique en cas de contrôle. Il convient de
noter qu’il ne s’agit pas là d’une critique de la jurisprudence mais d’un
simple constat objectif tiré des décisions et arrêts des cours et tribunaux.
Du caractère facultatif de
l’intervention des agents du MENESR a été tiré que celle-ci n’est pas soumise au principe du débat contradictoire.
a)
Le caractère facultatif de l’intervention des agents du
MENESR
Le vérificateur de la DGFIP peut
faire appel aux experts du MENESR mais leur intervention n’a rien
d’obligatoire. Rien n’interdit au vérificateur d’apprécier lui-même si les
projets présentés par l’entreprise répondent aux critères de nouveautés et
d’incertitudes techniques et si l’état de l’art est suffisant.
Ce cas de figure n’est pas rare car
les délais d’intervention des experts du MENESR retardent le rendu des dossiers
par le service vérificateur qui est astreint à en rendre un nombre défini par
an.
Il n’est pas rare notamment en
matière informatique que le vérificateur ou l’agent de la BVCI se prononce
directement sur l’éligibilité de projets. Cette situation n’est pas sans
conséquence sur les statistiques relatives au contrôle du CIR dans ce secteur.
De plus, l’avis qui est émis est
facultatif et ne doit être motivé qu’en cas de rejet (R45-B-1 LPF).
Ainsi, il a été admis que le
vérificateur peut ne pas suivre la décision de l’expert, ce qui s’agissant d’éléments
techniques revient à remettre en cause les qualifications de l’expert alors que
les entreprises ne sont pas admises à le faire, et encore moins à connaître son
nom.
Par ailleurs, la consultation du
MENESR peut intervenir au stade contentieux et les éventuels vices de
procédures qui pourraient être relevés seraient sans incidences dès lors que le
vérificateur ne ferait pas siennes les conclusions de l’expert.
b)
L’absence de débat oral et contradictoire
Un arrêt récent de la Cour
administrative d’appel de Nantes a réaffirmé cette jurisprudence constante en
ces termes :
« Considérant que ni les dispositions des
articles L. 45 B et R. 45 B-I du livre des procédures fiscales, en vertu
desquelles les agents du ministère de la recherche et de la technologie peuvent
vérifier la réalité de l'affectation à la recherche des dépenses prises en
compte pour la détermination du crédit d'impôt défini à l'article 244 quater B
du même code et peuvent à cette fin se rendre dans l'entreprise, ni aucun principe n'imposent à ces agents d'engager
avec cette dernière un débat oral et contradictoire portant sur la réalité de
cette affectation ; que l'administration est seulement tenue d'en notifier
les résultats à l'entreprise ; que M. et Mme B...ne sont dès lors pas fondés à
reprocher à l'expert mandaté par la délégation régionale à la recherche et à la
technologie de la région Centre de ne pas avoir engagé avec eux un débat oral
et contradictoire » CAA Nantes 9 avril 2015 n° 13NT02266.
Cette absence de débat oral et
contradictoire s’accompagne de l’absence d’obligation de se rendre dans les
locaux de l’entreprise.
Le décret n°2013-116 du 5 février
2013 dont l’objet était de préciser les modalités d'intervention des agents du
ministère chargé de la recherche dans le contrôle du CIR, au regard « notamment de la conduite du débat
contradictoire avec l'entreprise » n’a fait qu’entériner la
jurisprudence et confirmer le caractère facultatif du débat oral et
contradictoire et du déplacement dans les locaux de l’entreprise. Par ailleurs,
il a aggravé le déséquilibre existant, en imposant des délais de réponse aux
contribuables et en les sanctionnant. Il va s’en dire que la réciproque n’a pas
été édictée pour les interventions des experts du MENESR.
L’annonce de la création prochaine
d’une voie de recours auprès d’un comité consultatif viendra combler l’absence
de compétence du comité consultatif des impôts directs et des taxes sur le
chiffre d’affaires.
Il ne viendra pas combler le
déficit de débat oral et contradictoire et l’intervention sur place qui
d’expérience permettent d’une part, d’éliminer les approches purement
universitaire et dogmatique de la R&D et d’autre part, de faciliter
l’acceptation du rejet de projets par des explications scientifiques
appropriées.
Il est souvent évoqué une absence
de moyens accordés au MENESR pour ne pas rendre obligatoire le débat oral et
contradictoire et les interventions dans l’entreprise.
S’agissant du débat oral et
contradictoire, il s’agit surtout d’une question de volonté politique et d’un
idéal démocratique.
En
tout état de cause, ne pas faire de l’expert du MENESR, une partie pleine et
entière de la procédure fiscale conduit à une restriction des droits du
contribuable, à une réduction des droits de la défense mais aussi à une incompréhension
majeure du rôle du contrôle fiscal relatif au CIR.
B.
Des interrogations sur des dérives possibles et des risques
réels
a)
Des dérives
potentielles
Dans ce point seront décrits des
faits constatés en pratique. Ils soulèvent des interrogations quant au respect
des procédures et aux garanties accordées aux contribuables vérifiés notamment
en terme de débat oral et contradictoire et de loyauté dans les échanges entre
l’administration et les entreprises.
Il est important de préciser que
ces constats n’impliquent pas forcément une volonté délibérée de contourner les
procédures ni que les pratiques relevées soient généralisées. Il n’en demeure
pas moins qu’elles constituent des dérives sur lesquelles il convient de
s’interroger.
De manière très schématique, en
matière de vérification de comptabilité, l’emport des documents comptables par
le vérificateur est strictement limité et encadré. Il constitue même un vice
procédure assortie de la nullité de celle-ci parce qu’il limite notamment le
débat oral et contradictoire.
De la même manière, le contrôle sur
pièce peut déboucher sur un vice de procédure sanctionné par la nullité lorsque
l’ampleur des documents demandés constitue un début de contrôle sur place car
il n’est pas assorti des garanties accordées aux contribuables vérifiés.
Ces considérations n’existent pas
pour les agents du MENESR car l’article R 45-B1-II du LPF les autorise à
demander les documents justificatifs et notamment, les documents scientifiques
et techniques nécessaires à l'appréciation de l'éligibilité des opérations de
recherche réalisées en interne ou confiées à un prestataire, les justificatifs
relatifs aux personnes affectées aux projets de recherche déclarés, les
documents fiscaux et comptables relatifs aux dépenses déclarées.
En pratique, il s’agit des dossiers
techniques, des tableaux financiers, des tableaux d’amortissement, des copies
des bulletins de salaire, des copies de diplôme, des DADS 1 et 2, des extractions
des comptes clients et fournisseurs, des copies de contrat de R&D, des
factures fournisseurs de prestation de R&D, des intérimaires, des
abonnements, des prestations juridiques de dépôt et maintenance et défense de
brevet… (liste non limitative laissée à la discrétion des experts du MENESR).
Cette absence de limitation à
l’accès aux documents de l’entreprise (et de sanction) trouve son fondement comme
cela a été rappelé, supra, dans le fait que les experts ne font pas partie
intégrante de la procédure.
Cependant, il convient de rappeler qu’ils
sont soumis au même secret professionnel que les vérificateurs de
l’administration fiscale (article L.103 du LPF) et que cette exigence devrait
naturellement s’appliquer aux agents administratifs du MENESR qui interviennent
comme intermédiaires entre l’expert et l’entreprise ou parfois directement aux
côtés de l’expert lors des rencontres avec l’entreprise chaque fois qu’elles
ont lieu.
Par ailleurs, les textes régissant
le contrôle du CIR limitent les échanges de pièces entre le service de
vérification et l’expert du MENESR au seul rapport d’expertise donc aux
conclusions de l’expert du MENESR qui devront être portées à la connaissance de
l’entreprise vérifiée par le vérificateur s’il décide de les faire siennes.
Il est donc très surprenant de
constater que dans les faits, les documents de l’entreprise transmis au service
vérificateur se retrouvent en dehors de toute procédure dans les mains de
l’expert et vice versa.
A cet égard, on est parfois très
surpris de constater que les vérificateurs aient dans des domaines de pointe
des compétences que seuls des scientifiques de très haut niveau peuvent
acquérir ou que l’expert se prononce sur un dossier sans en avoir demandé le
contenu ou qu’il demande des pièces complémentaires sur un dossier qu’il n’est
pas censé avoir…
La
disparition des doublons des services intervenant dans le contrôle du CIR ne
doit pas se faire au détriment des procédures mises en place pour protéger les
droits des entreprises vérifiées.
De plus, l’augmentation des
demandes de document sous format dématérialisé s’il est critiquable du point de
vue des procédures comporte des dangers réels en termes de confidentialité et
intégrité des données.
b)
Des risques réels
On
ne reviendra pas sur les risques relatifs à la violation de la confidentialité
des données transmises par l’entreprise aux experts du MENESR. Elles ont été
largement décrites dans les différents rapports de l’Inspection Général des
Finances.
Il
est regrettable cependant que les constats effectués n’aient donné lieu qu’à
des mesures limitées car au-delà du CIR, sont en cause l’avenir des entreprises
et leur compétitivité.
Dès
lors, l’engagement complémentaire d’absence de conflit d’intérêts mis en place
par le MENESR semble bien dérisoire au regard des enjeux en cause. Il en est de
même des modalités de transmissions des informations au MENESR ou de la
conservation et de l’archivage des documents transmis.
1) Sur
l’engagement de confidentialité
On
peut s’interroger sur la validité de tels engagements lorsqu’ils ne sont ni
contrôlés ni sanctionnés et qu’il n’existe pas de disposition permettant de
récuser un expert désigné par le MENESR.
A
titre d’exemple, il semblerait tout à fait logique de s’interroger sur ce point
lorsque l’expert est également le chargé de valorisation dans le domaine
scientifique concerné des brevets de l’établissement public auquel il
appartient.
A
ce jour, il ne semble pas que des suites aient été accordées à de telles
demandes et que la jurisprudence ait eu à se prononcer sur ce point. En tout
état de cause, la difficulté de la preuve constitue un obstacle difficilement
franchissable.
2)
Sur les modalités de transmission
de la documentation
Il
existe à ce jour deux modalités : le format papier et le format
dématérialisé (clé USB, CD-Rom, micro-ordinateur sécurisé…), le second étant
très nettement préféré par le MENESR car il allège la gestion de la
documentation et facilite les traitements informatiques des données transmises.
Cependant,
il présente les plus grands risques de perte et de détournement des
informations.
De
plus, il n’existe aucun texte légal ou réglementaire fixant les modalités de
transmission et d’utilisation de ces informations et les modalités de leur
sécurisation.
Il
en est de même des modalités de conservation des données reçues.
3)
Sur les modalités de conservation
des données.
La
restitution par les experts du MENESR des dossiers techniques et financiers est
en pratique l’exception. La conservation de ces données souvent très sensibles
est la règle.
On
doit supposer que tout est mis en œuvre pour que la confidentialité de ses
données reste protégée dans le temps et que le MENESR a pris les mesures
adéquates.
Cependant,
il semble nécessaire que les règles en la matière soient clairement posées et
diffusées afin de rassurer les entreprises sur le sort qui est réservé à leur
R&D.
Une transparence dans
la nomination des experts, l’utilisation et la conservation des données des
entreprises est nécessaire pour réduire les risques afférents à ces données et
assurer une meilleure adhésion au contrôle du CIR.
Cependant, on ne peut
que souligner que ces risques perdraient de leur ampleur si les experts du
MENESR étaient soumis aux mêmes contraintes que les vérificateurs de la DGFIP à
savoir au contrôle sur place et à l’interdiction d’emport des documents.
III.
Les prestataires
Le
guide CIR 2015 du MENESR rappelle que « Suite aux difficultés rencontrées par les entreprises dans leurs
relations avec les acteurs du conseil en fiscalité concernant les déclarations
et les contrôles CIR, la Médiation inter-entreprises du ministère de
l’Economie, de l’Industrie et du Numérique a entrepris de mettre en place un
dispositif de référencement. Il concerne les consultants, experts et cabinet de
conseil proposant des prestations aux entreprises dans le cadre de leur
déclaration fiscale CIR ».
Le
plus surprenant dans cette démarche du ministère, c’est qu’elle ne semble pas
avoir été précédée de l’interrogation qui semble pourtant s’imposer
naturellement et qui est celle de la légalité des activités déployées par ces
cabinets de conseil qui ne relèvent pas des professions réglementées (A).
Par
ailleurs, au-delà des divers griefs déjà relevés à l’encontre de certains de
ces acteurs du marché, il en est d’autres beaucoup moins connus mais qui
méritent d’être soulignés tant les risques qu’ils font courir pour les
entreprises sont considérables (B).
A.
La légalité de leur intervention
a)
Rappel des principes
On
doit entendre par « consultation
juridique toute prestation intellectuelle personnalisée qui tend à fournir un
avis sur une situation soulevant des difficultés juridiques ainsi que sur la
(ou les) voie(s) possible(s) pour les résoudre, concourant, par les éléments
qu'elle apporte, à la prise de décision du bénéficiaire de la consultation.
Elle doit être distinguée de l'information à caractère documentaire qui
consiste à renseigner un interlocuteur sur l'état du droit ou de la
jurisprudence relativement à un problème donné. » (RM à QE Alain
FOUCHE n° 24085 JO Sénat 27 juillet 2006).
La
possibilité de fournir des consultations est régie par la loi n°71-1130 du 31
décembre 1971 et est précisée par la jurisprudence.
1)
S’agissant de la loi du 31 décembre
1971
L’exercice
du droit à titre principal est réservé par l’article 54 de la loi aux professions
juridiques réglementées qui sont réputées posséder « la compétence
juridique appropriée » (ex. : avocats, notaires huissiers de justices…).
L’exercice
du droit à titre accessoire est ouvert aux professions réglementées non
juridiques de l’article 59 de la loi qui peuvent dans la limite de la
réglementation qui leur est applicable donner des consultations relevant de
leur activité principale et rédiger des actes sous seing privé qui constituent
l’accessoire direct de la prestation fournie (ex. : experts comptables,
agents immobiliers, conseils en propriété intellectuelle…).
Pour
les personnes exerçant une activité professionnelle non réglementée, leur
capacité à consulter dans la limite de leurs activités principales et à rédiger
des actes sous seing privé qui constituent l'accessoire nécessaire de cette
activité est conditionnée par l’article 60 de la loi à la justification d'une
qualification reconnue par l'Etat ou attestée par un organisme public ou un
organisme professionnel agréé.
Les
sociétés de conseil qui interviennent dans l’élaboration du CIR relèvent de
cette troisième catégorie. Il convient de relever qu’il s’agit dans la majorité
des cas de cabinets de réduction de coût.
2)
S’agissant de la jurisprudence
Elle
pose en principe que les professionnels non réglementés doivent justifier d’une
activité principale non juridique pour pouvoir donner des conseils juridiques (en
ce sens Cour de cassation, 1ère chambre civile, 15 novembre 2010, n°
09-66319, Cour d'appel
de Paris, 18 septembre 2013, n°10/25413, CAA Paris 25 février 2015 n°13/07430).
Elle
précise par ailleurs que cette limitation « n'est en rien contraire au Traité sur le fonctionnement de l'Union
Européenne en son article 49 relatif à la liberté d'établissement et son article
56 relatif à la libre prestation de services, ainsi qu'à la directive 2006/123
relative aux services dans le marché intérieur » (Cour d'appel de
Paris, 18 septembre 2013, n°10/25413).
La
1ère chambre civile de la Cour de cassation a précisé dans un arrêt
du 15 novembre 2010 que le niveau de complexité de la question posée est sans
incidence sur l’existence d’une prestation à caractère juridique.
b)
Des interrogations
légitimes
Selon
les entreprises, le rôle du cabinet de conseil est variable.
Les
missions peuvent aller de la détermination du périmètre de la R&D au dépôt
de la déclaration fiscale spéciale, à la rédaction des dossiers scientifiques
et financiers et à l’assistance à contrôle fiscale (rédaction des réponses aux
propositions de rectification).
L'appréciation
des périmètres éligibles qu’ils soient techniques, sociaux ou territoriaux, la
détermination des dépenses juridiquement fondées, la déduction de certaines
subventions ou avances remboursables nécessitent la recherche et donc la
connaissance, ainsi que l'analyse des textes juridiques applicables.
Il
est vrai que le recours à un expert scientifique semble s’imposer. Cependant, cet
aspect n’est pas dirimant. En effet, il est facultatif pour le vérificateur qui
n’a pas l’obligation de recourir à l’expertise du MENESR et le juge de l’impôt
apprécie si l’entreprise a apporté la preuve du caractère innovant des projets
présentés.
Faire du CIR, c’est
appliquer des règles de droit et des définitions juridiques.
Dès lors, l’activité
principale réalisée par les sociétés de conseils relèverait d’une activité
juridique et tomberait donc sous le coup de l’interdiction et les sanctions
édictées par la loi du 31 décembre 1971 précitée.
Au
plan civil, les conventions qui les lient avec les entreprises seraient sans cause.
Par
ailleurs, tout doute doit être écarté pour les sociétés de conseils qui
ne possèdent pas les qualifications professionnelles requises et notamment
l’OPQCM. A cet égard, le contrôle à opérer est simple. Il suffit pour cela de
consulter les listes et les dates d’attribution de ce certificat figurant sur
le site de l’ISQ.
B.
Les risques
Deux
catégories de risques peuvent être identifiées. Ceux qui portent sur la qualité
du prestataire et sur la prestation rendue et ceux relatifs aux données de l’entreprise
transmises à ces sociétés de conseils.
a)
Risques sur la
qualité du prestataire et de la prestation
1)
Sur la qualité du prestataire
Les
sociétés de conseil non soumises à un ordre (expert-comptable, avocat…) n’hésitent
pas à employer les termes « certifiés », « sécurisés », « audités », « attestés
», « expertisés », « conseil fiscal ».
Certains
évoquent même l’application d’une déontologie similaire à celle des avocats
alors qu’ils ne sont astreints à aucune des obligations qui pèsent sur les
professions réglementées.
Cette
utilisation des termes attachés à une activité professionnelle réglementée est
de nature à induire en erreur les entreprises sur la qualité, les
qualifications et les garanties de ces prestataires.
2)
Sur la qualité de la prestation
Fréquemment,
les sociétés de conseil vendent une « mission type », clé en main avec une
équipe de consultants qui n’est pas toujours pluridisciplinaire.
Ceux-ci
se déplacent parfois dans l’entreprise pour s’entretenir avec les scientifiques
et demander les documents nécessaires à l’élaboration des dossiers et la
déclaration fiscale spéciale.
Cependant,
il n’est pas rare que cette phase se déroule uniquement par courriel ou par
échanges téléphoniques. Le client remplit des questionnaires et des fiches
préétablies. La déclaration spéciale et le dossier justificatif sont
généralement transmis par courriel.
Rien
ne garantit donc aux entreprises que ce sont leurs interlocuteurs qui ont
établi le dossier et encore moins qu’il s’agit d’interlocuteurs qualifiés ou
même de salariés du prestataire.
Par
ailleurs, l’analyse des contrats des prestataires révèle que ceux-ci sont
établis pour limiter tout risque de contentieux en leur défaveur.
Les
questionnaires et les fiches remplis par les entreprises permettent aux
sociétés de conseil de justifier de leurs obligations de moyen et de s’en dégager
à bon compte.
De
plus, les clauses de garantie sont la plupart du temps limitées au
remboursement des honoraires versés à proportion des redressements et
conditionnées à la poursuite des procédures jusqu’à leur terme. Les coûts, les
délais, la stratégie fiscale de l’entreprise et l’absence de garantie d’aboutir
conduisent souvent les clients des prestataires à ne pas s’engager dans ces
procédures et à subir non seulement les conséquences des propositions de
rectification mais également à perdre les honoraires versés.
Enfin la rémunération
en pourcentage des prestataires de conseil qu’elle soit appelée success fees,
ou autre est de nature à les inciter à faire prendre des risques à l’entreprise.
Dès
2011, le législateur a voulu limiter le recours à ce mode de rémunération en
considérant que les taux pratiqués sont confiscatoires. Pour cela, le montant
des sommes rémunérant les prestations de conseil fixé en proportion du montant
du crédit d'impôt pouvant bénéficier à l'entreprise doit être déduit pour le
calcul du CIR (article 244 quater B III du CGI). Cette réintégration pénalise
les entreprises et non les prestataires qui peuvent facilement contourner cette
obligation en substituant par avenant à la fin des opérations et après
détermination de leur rémunération, un fixe à un pourcentage.
La solution trouvée
est donc partiellement inefficace et ne s’est pas attaquée au risque réel généré
par le mode de rémunération en pourcentage.
b)
Risques pour les
données de l’entreprise
Ils
sont propres à « l’industrialisation » de l’élaboration des
déclarations de CIR qui génèrent des risques liés à la gestion du personnel des
sociétés de conseil et des interrogations en matière de territorialité.
1)
Des risques liés à la gestion du
personnel
L’
« industrialisation » de l’élaboration des déclarations de CIR génère
une pression sur la masse salariale et donc une rotation très importante des
effectifs des sociétés de conseil.
Le
secret professionnel s’impose aux consultants mais les rotations fréquentes de
ces personnels font peser des risques sur la confidentialité des données qu’ils
ont eu à connaître.
Le
risque est identique lorsqu’un même prestataire et donc souvent les mêmes
consultants gèrent la déclaration de sociétés concurrentes, la notion de
conflit d’intérêts n’étant pas un devoir qui s’impose aux sociétés de conseil.
A
cet égard, la politique de recrutement de ces sociétés conduit à pratiquer le
débauchage de spécialistes de domaines de pointe qui sont des salariés de
sociétés concurrentes. Or, il existe un risque majeur et avéré de voir un
consultant fraîchement embauché être chargé d’établir le CIR de la société
concurrente de son ex-employeur et repartir chez celui-ci avec les données
obtenues. Les sociétés de consulting deviennent ainsi le vecteur de
l’espionnage industriel.
Cette
réalité est souvent occultée par les sociétés de conseil qui se gardent bien
d’en informer leur client lorsqu’elles s’en rendent compte.
2)
Des interrogations sur la territorialité
L’
« industrialisation » de l’élaboration des déclarations de CIR a
entraîné une guerre des prix qui conduit à s’interroger sur les méthodes susceptibles
d’être utilisées par les sociétés de conseil.
En
effet, les écarts de tarif ne peuvent s’expliquer que par la différence de
qualité de la prestation rendue ou, à qualité égale, au recours à la délocalisation du traitement et de l’archivage
principalement des données scientifiques vers des pays où le coût de la main-d’œuvre
est nettement inférieur.
Une
nouvelle brèche dans la confidentialité des données de la R&D des
entreprises est donc possible voir probable. Elle ne peut être combattue que
par les entreprises qui ont les moyens d’imposer des règles strictes en la
matière. Ce n’est malheureusement pas le cas des TPE et PME qui se voient
imposées des contrats d’adhésions.
Depuis sa réforme par
la loi de finances pour 2008, le CIR est au cœur d’une bataille de chiffres et
fait l’objet de rapports multiples sur son efficacité et la fraude supposée.
Le débat qui entoure
ce dispositif n’est pas serein. Il est alimenté par les imprécisions, la
méconnaissance évidente du dispositif et des règles fiscales.
La volonté de
sensationnalisme et de désigner à la légère à la vindicte populaire les grandes
entreprises qui bénéficient du CIR (cf. l’émission l’œil du 20 heures dont les
affirmations semblent un peu hâtives à un public un peu informé) ne permettent
pas d’aborder les débats de fonds que posent ce dispositif et qui sont fondamentaux
pour notre société (principe du contradictoire) et l’avenir de notre économie
(secret de la R&D des entreprises).
Espérant
que ces développements pourront être utiles à votre mission, je vous prie de
croire, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, à
l’assurance de ma considération distinguée.
André
MORICE-CHAUVEAU
SELARLMORICE-CHAUVEAU, avocat au Barreau du Mans
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